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Contempler le mystère de l'Incarnation
Pierre-Marie Varennes

La Libération de saint Pierre (1620-1621)
Sophie Mouquin
La fête de saint Pierre, célébrée en ce mois de juin, nous invite à méditer sur la figure de l’Apôtre. Impétueux saint Pierre ! « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » s’écrie-t-il lorsque Jésus demande à ses disciples : « Pour vous, qui suis-je ? » (Mt 16, 16.15). Simon, auquel le Christ donna le nom de Képhas, c’est-à-dire « roc », est l’homme du désir d’aimer et de servir le Messie, jusqu’au don de sa propre vie. Sur ce chemin, il chute pourtant, à plusieurs reprises. Il prend peur devant la force du vent lorsqu’il veut rejoindre le Christ sur les eaux. Il renie son Seigneur lorsqu’on lui demande s’il le connaît. Le pape Benoît XVI résumait cet itinéraire édifiant pour nous : « L’école de la foi n’est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et d’amour, d’épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait promis une fidélité absolue, connaît l’amertume et l’humiliation du reniement : le téméraire apprend l’humilité à ses dépens. » Mais Pierre est celui auquel le Christ a donné les clés du royaume des Cieux (v. 19).
« Lève-toi vite »
Après la mort de Jésus, l’Apôtre assume pleinement sa mission. Les efforts d’Hérode Agrippa pour l’en empêcher sont vains. Le roi de Judée le fait arrêter et projette de le faire comparaître devant le peuple. Placé sous la garde de quatre escouades de quatre soldats, […] attaché avec deux chaînes (Ac 12, 4.6), il est réveillé, en pleine nuit, par un ange. La scène, telle qu’elle est relatée dans les Actes des Apôtres, insiste sur l’autorité de l’ange, qui ne laisse d’autre choix à Pierre que de mettre sa ceinture, de chausser ses sandales, de s’envelopper de son manteau et de le suivre. L’Apôtre obéit mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l’ange était bien réel ; il pensait qu’il avait une vision (v. 9). Qu’elle est belle, cette docilité de Pierre ! Pierre le fougueux ne pose aucune question, ne doute pas : il fait ce que l’ange lui ordonne. Dans l’iconographie occidentale, l’épisode connaît un développement assez important, surtout après la fresque que Raphaël peignit sur les murs de l’une des chambres du Vatican à la demande de Jules II. Le pape avait été cardinal de l’église Saint-Pierre-aux-Liens où sont conservées les chaînes utilisées pour entraver l’Apôtre lorsque ce dernier fut prisonnier à Jérusalem, puis plus tard à Rome. Jules II avait donc sans doute pour le récit des Actes un attachement particulier. Si le sujet n’était pas inédit dans l’iconographie sacrée, il connaît alors un certain renouveau et même un relatif succès dans l’Europe du xviie siècle. La scène, qui se déroule de nuit, favorisait un travail sur le clair-obscur qui intéressa de nombreux suiveurs du Caravage. Giovanni Lanfranco n’était pas de ceux-là. Il fut même élève des Carrache, avant de développer une manière personnelle, que l’on qualifie volontiers de baroque en raison de son sens évident des jeux d’illusion et de perspective et de son goût pour des compositions ascensionnelles. Sa version de la Libération de saint Pierre, qui appartient aujourd’hui au Birmingham Museum of Art, fut sans doute peinte en 1621, c’est-à-dire au moment où il débuta le chantier de la coupole de Sant’Andrea della Valle qui devint l’un des grands modèles de décors pour les coupoles.
Être libéré de toute peur et de toute chaîne
Loin des effets décoratifs de ses décors peints, Lanfranco nous invite ici au plus près de l’événement, dans l’intimité même du dialogue entre l’ange et l’Apôtre. Il nous fait pénétrer dans la cellule où Pierre est retenu prisonnier : nous sommes spectateurs de la soudaineté de l’événement, de sa rapidité aussi. L’ange, seul point lumineux de l’œuvre, seule source de lumière, se tient debout, derrière Pierre qui gît à terre. Il vient de le réveiller en le frappant au côté (Ac 12, 7) ; sa main gauche l’atteste. Mais vite, il faut partir ! L’empressement de l’ange est d’autant plus sensible que la toile, inachevée, ne cache rien des repentirs, des hésitations de l’artiste : le divin messager apparaît, comme en surimpression, à l’arrière de la figure finale. Cet inachèvement donne à l’œuvre sa poésie et, même, tout son sens. L’irruption de l’ange, au creux de la nuit, au cœur de l’épreuve, est un coup de tonnerre silencieux. Elle nous rappelle la diversité des manifestations de Dieu et la puissance de son action. Elle nous presse, aussi, d’intercéder, encore et toujours, pour ceux qui connaissent l’épreuve de la prison et de l’enfermement, car tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insistance, nous précisent les Actes des Apôtres (v. 5). La communauté chrétienne supplie le Seigneur pour l’un de ses membres. Et voici que Dieu libère Pierre de ses liens, donnant ainsi une profondeur supplémentaire à cette parole : « Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux » (Mt 16, 19). Commentant l’épisode, le pape François affirmait : « Les chaînes tombent et la porte de la prison s’ouvre toute seule. Pierre s’aperçoit que le Seigneur l’“a arraché aux mains d’Hérode” (Ac 12, 11) ; il se rend compte que Dieu l’a libéré de la peur et des chaînes. Oui, le Seigneur nous libère de toute peur et de toute chaîne, afin que nous puissions être vraiment libres. » Puissions-nous, à la suite de Pierre, vivre pleinement, dans la diversité de nos situations, dans la joie comme dans la peine, de cette liberté intérieure donnée par l’amour de Dieu.
Sophie Mouquin
Maître de conférences en histoire de l'art moderne à l'université de Lille.
La Libération de saint Pierre (1620-1621), Giovanni Lanfranco (1582-1647), Alabama (USA), Birmingham Museum of Art. © akg-images.
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Philippe de Champaigne (1602-1674) a 61 ans quand il peint ce tableau pour l’église de la chartreuse de Paris. C’est une œuvre de maturité, illuminée par les bleus surnaturels dont il avait le secret – ici sur la toge de Jésus, la palla de Marie et la vue de Jérusalem au-delà des arcades à claire-voie du Temple. On retrouve aussi, poussée jusqu’à l’excellence, la dimension théologique qu’il donnait aux ombres. Lors du tohu-bohu originel, tout n’était que confusion, c’est par le jeu des ténèbres et de la lumière que le Créateur mit au monde la différenciation et la diversité. De même le peintre doit-il se servir de l’ombre pour donner distinction et relief à ses œuvres. Ce principe se vérifie aussi bien dans les détails – la qualité des drapés - que dans les ensembles – seuls Jésus, Marie et Joseph sont dans la lumière, ainsi distingués des sujets de la loi mosaïque qui restent dans la pénombre, de n’avoir pas su reconnaître la lumière née de la lumière.
Les mains qui parlent
Jésus a 12 ans. Ses parents, après trois jours de recherches, le retrouvent au Temple. C’est le moment des retrouvailles que nous donne à voir l’artiste. Il construit son œuvre de part et d’autre de la ligne tracée par le jeu des mains des personnages, ligne qui aboutit à l’index de Jésus dressé vers le plus haut des cieux. Et voici que ces jeux de mains nous donnent à entendre les dialogues de l’épisode (Lc 2, 48-49) : la main droite de Marie inclinée sur son cœur dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? » tandis que sa main gauche désignant Joseph dit : « Vois, ton père et moi te cherchions avec angoisse ! » ; la main droite de Joseph appuie les paroles de Marie de toute l’autorité paternelle et s’associe à son questionnement ; la main gauche de Jésus tente d’apaiser ses parents et leur répond : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? » ; enfin, sa main droite donne le fin mot de l’épisode : « Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? »
Un instant d’éternité
« Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? » Il s’agit de la première parole de Jésus rapportée par l’Évangile. Et c’est pour nous révéler le mystère de l’Incarnation. Par nature, la peinture, à l’instar de la photographie, est un instantané. L’art de l’artiste étant de faire parler cet instant figé en donnant à voir beaucoup plus que ce que son objectivité ne montre. Ici, la vocation assumée par le peintre chrétien qu’était Champaigne est d’exprimer, en cet instant, rien moins que l’éternité : l’éternité n’est-elle pas un instant sans commencement ni fin, mais comblé de signification comme d’accomplissements ? Et voici donc que Champaigne fait s’accomplir sous nos yeux la grâce de l’Incarnation, contemplée du point de vue de l’éternité. Ainsi, en cet épisode de l’Évangile raconté en peinture, est-ce finalement l’état ontologique de l’événement pris dans son essence immuable qui est offert à notre contemplation. À cet égard, nous pouvons admirer comment la figure – d’une si belle humanité ! – du jeune homme Jésus parvient à exprimer la Trinité divine à l’œuvre dans la kénose du Fils : ses vêtements sont gonflés et animés par le souffle de l’Esprit Saint*, et tout son être se dit en son index qui désigne le Père qui l’a envoyé.
Pierre-Marie Varennes
* On observe en effet que parmi tous les personnages et les objets, le vent n’anime que les vêtements de Jésus.
Jésus parmi les docteurs (1663), Philippe de Champaigne (1602-1674), Angers, musée des Beaux-Arts. © RMN-GP / B. Touchard / M. Rabeau.
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