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La plénitude de la Révélation
Pierre-Marie Varennes

L’Assomption de la Vierge (1500)
Michel Sittow (v. 1469-1525)
Nous rêvons du ciel. Avons-nous tort de nous figurer le séjour de Dieu comme un espace azuré rempli d’anges ? Si rien ne peut nous préparer à la communion avec la Trinité, il est juste que pour penser les cieux nous empruntions à ce que la création a de plus incommensurable à l’homme et de plus pur. Dans son Assomption de 1500, Sittow semble peindre deux ciels. Dans le quart inférieur, un firmament diurne, paisible, au-dessus d’un charmant paysage aux couleurs tendres comme on en trouve tant au hasard de fenêtres ou de perspectives dans les tableaux de la Renaissance. Dans l’essentiel du tableau, un ciel nocturne amoncelant ses gros nuages sombres de part et d’autre des anges qui entourent la Vierge, et faisant reposer les pieds de Marie sur un fin croissant de lune, conformément au texte de l’Apocalypse : Et il y eut des éclairs, des fracas, des coups de tonnerre, un tremblement de terre et une forte grêle. Un grand signe apparut dans le ciel : une Femme (Ap 11, 19 à 12, 1). Des anges aux traits fins, aux boucles libres, robes et ailes colorées au vent, soutiennent deux à deux la lune, le grand manteau et une couronne ouvragée qui s’apprête à rejoindre la tête de la Mère de Dieu. Tous sont à genoux devant Marie qu’ils regardent avec amour. Le peintre a joué sur les couleurs, les attitudes et les positions pour créer des effets d’écho et d’écart d’un ange à l’autre, tout en mettant en valeur Marie, deux fois plus grande que la troupe céleste et dont la robe d’un bleu profond tranche sur les tonalités pâles. La délicatesse des lignes, la subtilité des tons et la simplicité de composition confèrent à ce tout petit panneau (21 x 16 cm) son grand raffinement.
La servante du Seigneur
Michel Sittow, né et mort en Estonie, Européen s’il en fut – son père était flamand, sa mère finlandaise, il travailla à Tolède pour Isabelle de Castille ainsi qu’en Flandres, mais sans doute aussi à Londres et au Danemark –, est l’auteur de portraits et de scènes religieuses dont cette Assomption est l’une des plus remarquables. Sur ce panneau qui faisait partie d’un grand retable commandé par Isabelle la Catholique, il a exprimé à la fois un mouvement d’ascension et un moment de repos. Le dégradé de gris des nuages, leurs formes tourmentées, les plis compliqués des robes et du manteau, mais aussi les obliques des ailes suggèrent le dynamisme d’une ascension vers la lumière vive de la vie éternelle tandis que la ligne horizontale inférieure, la symétrie entre les anges, la haute stature de la Vierge et sa robe uniforme, et surtout son humble regard baissé et ses mains jointes signalent le recueillement d’une paix intérieure. Peu nombreux sont les signes extérieurs de la glorification : la couronne, des bijoux, la lumière qui entrouvre les nuages, c’est tout. Le triomphe de Marie apparaît bien ici comme une victoire de l’humilité, celle que chantait prophétiquement la jeune fille de Nazareth dans son Magnificat. Élevée dans la gloire, Marie demeure « la servante du Seigneur » (Lc 1, 38) : c’est parce qu’elle a obéi au Fils en toutes choses qu’elle le rejoint, conformément à sa promesse : « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera » (Jn 12, 26).
« Marie, icône eschatologique de l’Église »
Le dogme de l’Assomption, selon lequel « au terme de sa vie terrestre, l’immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, a été prise corps et âme dans la gloire céleste », ne sera proclamé que 450 ans après l’image qu’en donne Sittow ; il était cependant présent à la foi des fidèles depuis des siècles. Jean Damascène, un Père de l’Église, se réjouissait déjà : « Aujourd’hui la Vierge sans tache, qui n’a pas entretenu d’affections terrestres, mais s’est nourrie des pensées du ciel, n’est pas retournée à la terre ; comme elle est en réalité un ciel vivant, elle est placée dans les tentes célestes […]. L’Arche du Seigneur aujourd’hui est entrée dans son repos. »
L’entrée de la mère du Seigneur dans la gloire a une signification profonde pour tout le peuple de Dieu. De même qu’elle nous précède dans la reconnaissance de la divinité du Christ, dans l’acceptation de la croix et dans la foi en la résurrection, de même Marie nous ouvre le chemin de la vie en Dieu. Bien qu’elle n’ait pas connu la mort, Marie inaugure pour toute l’Église, et donc pour chacun d’entre nous, l’espérance selon laquelle nous participerons à la gloire de la résurrection. La petite ville silencieuse du peintre estonien, au bas du panneau, représente à la fois la terre d’où Marie est élevée, mais aussi ce monde qui a vocation à retourner tout entier vers Dieu. La manière dont les anges semblent ouvrir le grand manteau, pour porter Marie mais aussi pour la révéler, la donner à voir, et le regard insistant et direct de deux anges vers le spectateur nous appellent à fixer les yeux vers la vie éternelle qui nous est promise. Heureux, si nous désirons patiemment le ciel.
Delphine Mouquin
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L’Assomption de la Vierge (1500), Michel Sittow (v. 1469-1525), Washington D.C. (USA), National Gallery of Art. Photo : CC0
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La ville médiévale de San Gimignano, équidistante de Florence et de Sienne, vaut d’autant plus le voyage qu’elle est moins submergée que ses illustres voisines par les déferlements touristiques. Parmi ses nombreuses richesses artistiques, la collégiale Sainte-Marie-de-l’Assomption, élevée au XIIe siècle, est particulièrement remarquable, notamment par les fresques qui ornent ses murs. Parmi celles-ci, on trouve la Transfiguration qui orne la couverture de votre Magnificat. Cette œuvre, qui peut être datée vers 1330-1345, a été longtemps attribuée à Barna da Siena, mais les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour dire que son auteur nous est inconnu. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un artiste qui se situe dans la postérité stylistique de Giotto (1267-1337), peut-être proche de l’atelier de Lippo Memmi (1291-1356), lequel réalisa nombre des autres Histoires du Nouveau Testament qui décorent la basilique.
Au sommet du mont Thabor, stylisé selon les canons byzantins, Jésus devenu lumineux est transfiguré. Sa main gauche porte le livre de l’Évangile et sa main droite fait le signe du Magister, le Maître seul habilité à enseigner la Parole divine et qui sera finalement le Juge souverain. Aux débuts de l’iconographie chrétienne, ce geste était réservé aux représentations du Logos (le Verbe). Jésus transfiguré est « contenu » dans une mandorle (en forme d’amande) dont le rayonnement semble à la fois émaner de lui (lumière dorée) et exister par lui-même en arrière-plan (lumière verte). Cette mandorle manifeste la gloire divine en tant qu’elle procède du Père et du Fils.
À la gauche apparaît Moïse, le fondateur et le législateur du Peuple de Dieu, et à droite Élie, le grand prophète qui en fut le restaurateur. La robe d’Élie est verte, couleur de l’ascèse. Les deux personnages de l’Ancien Testament sont ostensiblement tournés vers Jésus dans une attitude de dévotion, pour bien montrer que le chemin préparé par l’ancienne Alliance aboutit à Jésus, le Christ de Dieu. Au pied de la scène, saint Pierre, saint Jean et saint Jacques portent des vêtements dont les couleurs relèvent encore des conventions des icônes byzantines. L’attitude des deux derniers nommés montre qu’ils sont bouleversés. Quant à saint Pierre, ses mains jointes sur sa poitrine et son attitude de suppliant indiquent qu’il propose à Jésus de monter trois tentes pour faire durer le ravissement : Il ne savait pas ce qu’il disait, commente le récit évangélique. Et voici que la voix de Dieu, le Père, atteste : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi. » Et elle commande : « Écoutez-le ! » (Lc 9, 33.35).
Mais pourquoi donc Moïse et Élie vont-ils disparaître aussitôt cette parole du Père prononcée ? La réponse nous est donnée par le commencement de la lettre aux Hébreux (1, 1-3) : À bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. [Le Fils est le] rayonnement de la gloire de Dieu, expression parfaite de son être.
« Écoutez-le ! » Leurs missions accomplies, la Loi et les Prophètes s’effacent donc, non qu’ils disparaissent, mais ils se fondent dans la réalité dont ils étaient la figure. « Écoutez-le ! » dit le Père : la Loi et les Prophète se devaient alors, selon le mot de Bossuet, de « céder la Parole à Jésus ». L’aigle de Meaux en conclut que désormais, en régime chrétien, la seule prédication admissible est celle qui fait entendre « la parole du Fils de Dieu même ».
« Écoutez-le ! » Lui seul.
Transfiguration du Christ, attribué à Barna da Siena (actif entre 1330 et 1350), San Gimignano (Italie), Collegiata di Santa Maria Assunta. © Bridgeman Images.
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