L'article du mois

Lieux saints par Nathalie Nabert

Sanctuaire Notre-Dame de La Salette

Ici, la paix, la beauté et le silence des montagnes sont au rendez-vous. À 1 800 mètres d’altitude, entre le massif de Beaumont et la vallée du Valgaudemar, se détachent la basilique dédiée à Notre-Dame et les bâtiments du sanctuaire destinés à accueillir des milliers de pèlerins venus du monde entier pour invoquer celle qui reprocha à son peuple de ne plus prier : la Vierge en larmes de La Salette, apparue à deux enfants qui gardaient leurs troupeaux en ce lieu, le 19 septembre 1846. Les neiges d’hiver rendent le sanctuaire encore plus imposant dans sa rudesse et le printemps y ramène les fleurs et les oiseaux dans un ciel fait pour la contemplation. Et pourtant, quel paradoxe dans l’histoire de ce sanctuaire qui commence comme une sombre prophétie, se poursuit dans des polémiques politico-religieuses et trouve sa légitimité dans un message d’espérance.

Une sombre prophétie

Le 19 septembre 1846, deux pauvres bergers du canton de Corps loués à leurs familles pour garder des troupeaux à l’alpage, Mélanie Calvat, pas encore 15 ans, et Maximin Giraud, 11 ans, après avoir mené boire leurs bêtes et s’être reposés, trouvent à leur réveil leurs troupeaux dispersés. En cherchant à les rassembler, ils voient une grande lumière dans une combe où coulait jadis une source à présent tarie et « une belle dame », assise la tête entre les mains, les coudes sur les genoux, en larmes. Dans leurs relations, les enfants donnent des précisions sur son costume, d’où sortiront les représentations que nous connaissons, roses lui couvrant les pieds et le galon de son fichu, grande croix sur la poitrine avec de chaque côté les instruments de la Passion. La dame s’exprime en français puis en patois, car ces enfants, qui ne savent ni lire ni écrire, s’expriment en franco-provençal. Le message est un avertissement et une prophétie brièvement résumés ici : Si le peuple de Dieu ne retourne pas à la messe le dimanche au lieu de travailler, cesse de prier et tourne en dérision l’Église, famines et malheurs s’abattront sur la France et l’Europe et, eux, les enfants, souffriront de faim. Elle charge les deux bergers d’annoncer cela. Ce qu’ils font chacun de son côté, le soir même.

Une polémique politico-religieuse

Le récit des enfants, entendu par le clergé local, l’évêque de Grenoble et les experts envoyés plus tard, suscite à la fois adhésion et polémique par son caractère apocalyptique, dans un contexte historique et politique difficile. On est peu avant la révolution de 1848, l’économie rurale est pauvre, la France profonde est déchristianisée, et après de mauvaises récoltes, le prix du pain a doublé. Le peuple a faim, l’anticléricalisme monte et politiquement, régimes monarchistes conservateur et progressiste s’opposent. Libres penseurs, athées, protestants, francs-maçons et certains membres du clergé contestent la réalité de cette apparition, d’autant que les enfants se disent en outre dépositaires, chacun, d’un secret que la « Dame » leur aurait donné avec interdiction de le révéler. Ce sera fait cinq ans plus tard à la demande du pape. Le contenu de ces secrets annonçant de grands malheurs en Europe, et parfois interprété comme une atteinte au pouvoir de Napoléon III, ne fera qu’envenimer les choses. Néanmoins, les faits sont reconnus comme authentiques cinq ans après leur avènement, le 19 septembre 1851, et en 1852 débute la construction d’une église et d’un sanctuaire sur le lieu de l’apparition. Quant aux enfants, ils porteront toute leur vie le poids difficile de leur voyance.

Un message d’espérance

Que reste-t-il de cette première d’une série d’apparitions de la Vierge : Lourdes 1858, Pontmain 1871, Fatima 1917, pour ne citer que les plus importantes, dans un monde qui, doucement, s’éloigne de l’Église ? Une force, une conversion, une espérance.

La force est liée à la présence de Marie qui n’abandonne ni son fils ni l’humanité en souffrance « créée à la ressemblance de Dieu », comme le soulignait Jean-Paul II, en 1996, dans sa lettre sur La Salette adressée à monseigneur Dufaux. La conversion est sa demande initiale à tout baptisé, l’espérance se déduit de l’amour manifesté à travers une vie pleinement chrétienne.

Ce message lié à l’apparition de La Salette est ce qui porte la vitalité actuelle de ce sanctuaire.

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Nathalie Nabert, laïque et mère de famille, est poète, doyen honoraire de la faculté des lettres de l’Institut catholique de Paris, professeur de littérature médiévale, fondatrice du CRESC, « Centre de recherches et d’études de spiritualité cartusienne », et de la collection « Spiritualité cartusienne » chez Beauchesne.