Murillo (1618-1682) a incarné d’une manière toute gracieuse, aimable et évangélique le couchant du siècle d’or de la peinture sévillane. Ce bon Pasteur enfant appartient aux toutes dernières années de sa vie. Déjà charmante, son expression se libère alors d’un quelconque reliquat de ténébrisme pour laisser une douce et chaude lumière tout baigner. Et sa touche en devient encore plus admirablement délicate, vibrante et émotive.
Cette œuvre est, bien sûr, inspirée par les passages des Évangiles (cf. Mt 18 10-14 ; Jn 10, 1-18) où Jésus se révèle comme le bon Pasteur, accomplissant la prophétie du livre d’Ézékiel (34, 12-16) : C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai (v. 15-16).
Voici donc le bon Pasteur qui tient en main sa houlette. Celle-ci deviendra plus tard la crosse épiscopale. Il est vêtu d’une robe de pourpre, à l’instar là aussi des évêques. Cette couleur, qui symbolise la symbiose de l’amour et de la vérité (le rouge et le bleu), était l’attribut de ceux dont la vocation est de gouverner et guider les autres, en premier lieu l’empereur de Rome. À cet égard, il faut préciser que parler de la « pourpre cardinalice » est une erreur : la soutane des cardinaux est rouge écarlate. La pourpre impériale était, elle, d’une inimitable couleur violacée, extraite du coquillage marin Murex. Dans l’antiquité, cette teinte était appelée « pourpre de Tyr », parce qu’inventée par les Phéniciens auxquels les empereurs romains avaient donné l’exclusivité de la fabrication. Le prix des étoffes de pourpre était considérable car on estime qu’il fallait dix mille murex pour faire un gramme de pigment ! Pour avoir une idée de cette couleur mythique, admirez donc la robe de ce bon Pasteur. En effet, Murillo vivait à Cadix, qui fut une ville phénicienne produisant la pourpre. Or, il se dit qu’un petit atelier en avait maintenu une production confidentielle et que Murillo y achetait des pigments pour confectionner son inimitable violet.
La tunique de peau qui couvre la robe du bon Pasteur rappelle qu’il n’est rien moins que Dieu ayant revêtu notre nature humaine – sa couleur sable est celle de la poussière qui retournera en poussière. Pauvre au service des pauvres, il va nu-pieds : ce Dieu qui vient nous guider à la félicité céleste n’est-il pas né parmi des bergers dans une crèche ? Cependant, son émouvant regard tourné vers le plus haut des cieux atteste que c’est l’œuvre du Père qu’il accomplit.
Il reste le plus surprenant à contempler : notre bon Pasteur est un petit enfant… C’est que Murillo s’est fait l’apôtre des humbles valeurs populaires et familiales, pour équilibrer le christianisme des clercs et des moines – présenté ostentatoirement comme héroïque et supérieur par nature – qui dominait l’Espagne à l’époque et qui avait été superbement célébré vingt ans plus tôt par un autre génie sévillan du Siècle d’or, Francisco Zurbarán (1598-1664). Pour Murillo, Jésus a tout autant été Sauveur du monde pendant sa vie familiale cachée que pendant sa vie publique. Vouloir occulter cette vérité, c’est se couper de la source vivifiante qui irrigue l’esprit de l’Évangile. Par toute son œuvre, Murillo exalte deux valeurs évangéliques fondamentales, l’esprit d’enfance et l’esprit de pauvreté. Il représente l’humilité de la vie familiale, la simplicité de la vie populaire et la pauvreté sous des aspects foncièrement aimables et bienfaisants. En opposition à la « prédication de la peur » qui avait cours à son époque, il pose sur les gens, leur existence, leur destin un regard plein de bienveillance et d’optimisme : la création dont le Dieu est un enfant n’est-elle pas sauvée ? L’humanité n’est-elle pas transfigurée ? La brebis perdue que le bon Pasteur enfant vient de ramener à lui, et dont il caresse affectueusement la tête de sa main gauche, cette brebis-là n’a pas peur, elle sait bien que Dieu est Amour.
Pierre-Marie Varennes
Le Bon Berger (c. 1675–1682), Bartolomé Esteban Murillo (1618-1682), Städel Museum, Frankfurt am Main, Allemagne. Photo: Städel Museum.
L’esprit de l’Évangile
L’esprit de l’Évangile
Le 1 avril 2023
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Murillo (1618-1682) a incarné d’une manière toute gracieuse, aimable et évangélique le couchant du siècle d’or de la peinture sévillane. Ce bon Pasteur enfant appartient aux toutes dernières années de sa vie. Déjà charmante, son expression se libère alors d’un quelconque reliquat de ténébrisme pour laisser une douce et chaude lumière tout baigner. Et sa touche en devient encore plus admirablement délicate, vibrante et émotive.
Cette œuvre est, bien sûr, inspirée par les passages des Évangiles (cf. Mt 18 10-14 ; Jn 10, 1-18) où Jésus se révèle comme le bon Pasteur, accomplissant la prophétie du livre d’Ézékiel (34, 12-16) : C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est moi qui le ferai reposer, – oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la ramènerai (v. 15-16).
Voici donc le bon Pasteur qui tient en main sa houlette. Celle-ci deviendra plus tard la crosse épiscopale. Il est vêtu d’une robe de pourpre, à l’instar là aussi des évêques. Cette couleur, qui symbolise la symbiose de l’amour et de la vérité (le rouge et le bleu), était l’attribut de ceux dont la vocation est de gouverner et guider les autres, en premier lieu l’empereur de Rome. À cet égard, il faut préciser que parler de la « pourpre cardinalice » est une erreur : la soutane des cardinaux est rouge écarlate. La pourpre impériale était, elle, d’une inimitable couleur violacée, extraite du coquillage marin Murex. Dans l’antiquité, cette teinte était appelée « pourpre de Tyr », parce qu’inventée par les Phéniciens auxquels les empereurs romains avaient donné l’exclusivité de la fabrication. Le prix des étoffes de pourpre était considérable car on estime qu’il fallait dix mille murex pour faire un gramme de pigment ! Pour avoir une idée de cette couleur mythique, admirez donc la robe de ce bon Pasteur. En effet, Murillo vivait à Cadix, qui fut une ville phénicienne produisant la pourpre. Or, il se dit qu’un petit atelier en avait maintenu une production confidentielle et que Murillo y achetait des pigments pour confectionner son inimitable violet.
La tunique de peau qui couvre la robe du bon Pasteur rappelle qu’il n’est rien moins que Dieu ayant revêtu notre nature humaine – sa couleur sable est celle de la poussière qui retournera en poussière. Pauvre au service des pauvres, il va nu-pieds : ce Dieu qui vient nous guider à la félicité céleste n’est-il pas né parmi des bergers dans une crèche ? Cependant, son émouvant regard tourné vers le plus haut des cieux atteste que c’est l’œuvre du Père qu’il accomplit.
Il reste le plus surprenant à contempler : notre bon Pasteur est un petit enfant… C’est que Murillo s’est fait l’apôtre des humbles valeurs populaires et familiales, pour équilibrer le christianisme des clercs et des moines – présenté ostentatoirement comme héroïque et supérieur par nature – qui dominait l’Espagne à l’époque et qui avait été superbement célébré vingt ans plus tôt par un autre génie sévillan du Siècle d’or, Francisco Zurbarán (1598-1664). Pour Murillo, Jésus a tout autant été Sauveur du monde pendant sa vie familiale cachée que pendant sa vie publique. Vouloir occulter cette vérité, c’est se couper de la source vivifiante qui irrigue l’esprit de l’Évangile. Par toute son œuvre, Murillo exalte deux valeurs évangéliques fondamentales, l’esprit d’enfance et l’esprit de pauvreté. Il représente l’humilité de la vie familiale, la simplicité de la vie populaire et la pauvreté sous des aspects foncièrement aimables et bienfaisants. En opposition à la « prédication de la peur » qui avait cours à son époque, il pose sur les gens, leur existence, leur destin un regard plein de bienveillance et d’optimisme : la création dont le Dieu est un enfant n’est-elle pas sauvée ? L’humanité n’est-elle pas transfigurée ? La brebis perdue que le bon Pasteur enfant vient de ramener à lui, et dont il caresse affectueusement la tête de sa main gauche, cette brebis-là n’a pas peur, elle sait bien que Dieu est Amour.
Pierre-Marie Varennes
Le Bon Berger (c. 1675–1682), Bartolomé Esteban Murillo (1618-1682), Städel Museum, Frankfurt am Main, Allemagne. Photo: Städel Museum.
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