Contempler le mystère de l’Incarnation
Philippe de Champaigne (1602-1674) a 61 ans quand il peint ce tableau pour l’église de la chartreuse de Paris. C’est une œuvre de maturité, illuminée par les bleus surnaturels dont il avait le secret – ici sur la toge de Jésus, la palla de Marie et la vue de Jérusalem au-delà des arcades à claire-voie du Temple. On retrouve aussi, poussée jusqu’à l’excellence, la dimension théologique qu’il donnait aux ombres. Lors du tohu-bohu originel, tout n’était que confusion, c’est par le jeu des ténèbres et de la lumière que le Créateur mit au monde la différenciation et la diversité. De même le peintre doit-il se servir de l’ombre pour donner distinction et relief à ses œuvres. Ce principe se vérifie aussi bien dans les détails – la qualité des drapés – que dans les ensembles – seuls Jésus, Marie et Joseph sont dans la lumière, ainsi distingués des sujets de la loi mosaïque qui restent dans la pénombre, de n’avoir pas su reconnaître la lumière née de la lumière.
Les mains qui parlent
Jésus a 12 ans. Ses parents, après trois jours de recherches, le retrouvent au Temple. C’est le moment des retrouvailles que nous donne à voir l’artiste. Il construit son œuvre de part et d’autre de la ligne tracée par le jeu des mains des personnages, ligne qui aboutit à l’index de Jésus dressé vers le plus haut des cieux. Et voici que ces jeux de mains nous donnent à entendre les dialogues de l’épisode (Lc 2, 48-49) : la main droite de Marie inclinée sur son cœur dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? » tandis que sa main gauche désignant Joseph dit : « Vois, ton père et moi te cherchions avec angoisse ! » ; la main droite de Joseph appuie les paroles de Marie de toute l’autorité paternelle et s’associe à son questionnement ; la main gauche de Jésus tente d’apaiser ses parents et leur répond : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? » ; enfin, sa main droite donne le fin mot de l’épisode : « Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? »
Un instant d’éternité
« Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? » Il s’agit de la première parole de Jésus rapportée par l’Évangile. Et c’est pour nous révéler le mystère de l’Incarnation. Par nature, la peinture, à l’instar de la photographie, est un instantané. L’art de l’artiste étant de faire parler cet instant figé en donnant à voir beaucoup plus que ce que son objectivité ne montre. Ici, la vocation assumée par le peintre chrétien qu’était Champaigne est d’exprimer, en cet instant, rien moins que l’éternité : l’éternité n’est-elle pas un instant sans commencement ni fin, mais comblé de signification comme d’accomplissements ? Et voici donc que Champaigne fait s’accomplir sous nos yeux la grâce de l’Incarnation, contemplée du point de vue de l’éternité. Ainsi, en cet épisode de l’Évangile raconté en peinture, est-ce finalement l’état ontologique de l’événement pris dans son essence immuable qui est offert à notre contemplation. À cet égard, nous pouvons admirer comment la figure – d’une si belle humanité ! – du jeune homme Jésus parvient à exprimer la Trinité divine à l’œuvre dans la kénose du Fils : ses vêtements sont gonflés et animés par le souffle de l’Esprit Saint*, et tout son être se dit en son index qui désigne le Père qui l’a envoyé.
Pierre-Marie Varennes
* On observe en effet que parmi tous les personnages et les objets, le vent n’anime que les vêtements de Jésus.
Jésus parmi les docteurs (1663), Philippe de Champaigne (1602-1674), Angers, musée des Beaux-Arts. © RMN-GP / B. Touchard / M. Rabeau.
Contempler le mystère de l’Incarnation
Contempler le mystère de l’Incarnation
Le 1 juin 2023
Partager sur :
Imprimer la page :
Philippe de Champaigne (1602-1674) a 61 ans quand il peint ce tableau pour l’église de la chartreuse de Paris. C’est une œuvre de maturité, illuminée par les bleus surnaturels dont il avait le secret – ici sur la toge de Jésus, la palla de Marie et la vue de Jérusalem au-delà des arcades à claire-voie du Temple. On retrouve aussi, poussée jusqu’à l’excellence, la dimension théologique qu’il donnait aux ombres. Lors du tohu-bohu originel, tout n’était que confusion, c’est par le jeu des ténèbres et de la lumière que le Créateur mit au monde la différenciation et la diversité. De même le peintre doit-il se servir de l’ombre pour donner distinction et relief à ses œuvres. Ce principe se vérifie aussi bien dans les détails – la qualité des drapés – que dans les ensembles – seuls Jésus, Marie et Joseph sont dans la lumière, ainsi distingués des sujets de la loi mosaïque qui restent dans la pénombre, de n’avoir pas su reconnaître la lumière née de la lumière.
Les mains qui parlent
Jésus a 12 ans. Ses parents, après trois jours de recherches, le retrouvent au Temple. C’est le moment des retrouvailles que nous donne à voir l’artiste. Il construit son œuvre de part et d’autre de la ligne tracée par le jeu des mains des personnages, ligne qui aboutit à l’index de Jésus dressé vers le plus haut des cieux. Et voici que ces jeux de mains nous donnent à entendre les dialogues de l’épisode (Lc 2, 48-49) : la main droite de Marie inclinée sur son cœur dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? » tandis que sa main gauche désignant Joseph dit : « Vois, ton père et moi te cherchions avec angoisse ! » ; la main droite de Joseph appuie les paroles de Marie de toute l’autorité paternelle et s’associe à son questionnement ; la main gauche de Jésus tente d’apaiser ses parents et leur répond : « Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? » ; enfin, sa main droite donne le fin mot de l’épisode : « Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? »
Un instant d’éternité
« Ne saviez-vous pas que je me dois à l’œuvre de mon Père ? » Il s’agit de la première parole de Jésus rapportée par l’Évangile. Et c’est pour nous révéler le mystère de l’Incarnation. Par nature, la peinture, à l’instar de la photographie, est un instantané. L’art de l’artiste étant de faire parler cet instant figé en donnant à voir beaucoup plus que ce que son objectivité ne montre. Ici, la vocation assumée par le peintre chrétien qu’était Champaigne est d’exprimer, en cet instant, rien moins que l’éternité : l’éternité n’est-elle pas un instant sans commencement ni fin, mais comblé de signification comme d’accomplissements ? Et voici donc que Champaigne fait s’accomplir sous nos yeux la grâce de l’Incarnation, contemplée du point de vue de l’éternité. Ainsi, en cet épisode de l’Évangile raconté en peinture, est-ce finalement l’état ontologique de l’événement pris dans son essence immuable qui est offert à notre contemplation. À cet égard, nous pouvons admirer comment la figure – d’une si belle humanité ! – du jeune homme Jésus parvient à exprimer la Trinité divine à l’œuvre dans la kénose du Fils : ses vêtements sont gonflés et animés par le souffle de l’Esprit Saint*, et tout son être se dit en son index qui désigne le Père qui l’a envoyé.
Pierre-Marie Varennes
* On observe en effet que parmi tous les personnages et les objets, le vent n’anime que les vêtements de Jésus.
Jésus parmi les docteurs (1663), Philippe de Champaigne (1602-1674), Angers, musée des Beaux-Arts. © RMN-GP / B. Touchard / M. Rabeau.
Partager sur :
Autres commentaires
La Libération de saint Pierre
Lire l'articleAccomplir nos vies en merveilles
Lire l'articleLa Visitation
Lire l'article