La Descente du Saint-Esprit (1634), Jacques Blanchard (1600-1638)
Le mois des Mays
L’Esprit Saint descend comme des pétales de roses sur les Apôtres émerveillés, en ce May exécuté en 1634, il y a exactement 390 ans, pour la cathédrale parisienne que nous avons la joie de voir renaître de ses cendres cette année. L’histoire des Mays de Notre-Dame de Paris commence en 1449, lorsque la corporation des orfèvres parisiens honore la Vierge Marie, le 1er mai, par l’offrande d’un arbre orné de rubans. Au fil du temps, l’objet offert se transforme. Il devient petit tabernacle, puis se pare de représentations peintes de scènes de l’Ancien Testament ou illustrant la vie de Marie. Par métonymie, on appelle « mays » ces objets votifs présentés au début d’un mois qui s’écrivait encore « may ». Aux « petits mays » succèdent les « grands mays » : à partir de 1630, Notre-Dame recevra chaque année de la part des orfèvres parisiens une toile de très grand format (ici 340 x 245 cm), et ce jusqu’en 1707, de manière presque ininterrompue. Certains Mays furent perdus à la Révolution, et la cinquantaine de toiles restante fut dispersée entre des musées et des églises françaises, ou rendue pour partie à Notre-Dame. Ce trésor patrimonial, alors exposé dans les chapelles latérales de la cathédrale, a échappé aux flammes de 2019.
Exécuter un May était, pour de jeunes artistes français, un honneur recherché et une manière de se faire connaître. Si quelques peintres comme La Hyre, Le Brun ou Boullogne (le père) ont à leur actif plusieurs Mays, la plupart n’ont été retenus qu’une fois, ce qui fait des Mays un magnifique panorama de l’art pictural religieux en France au XVIIe siècle.
La courte vie de Jacques Blanchard est d’ailleurs typique de celle d’un peintre français de l’époque : appartenant à une famille de peintres, il séjourne en Italie, exécute des scènes mythologiques, est nommé peintre du roi en 1636, peint de nombreux décors architecturaux (aujourd’hui perdus) et beaucoup de scènes religieuses. Le musée du Louvre conserve plusieurs des œuvres de celui qui fut parfois surnommé « le Titien français », en hommage à ses talents de coloriste développés par l’observation des peintres vénitiens.
L’Église au cénacle
Les premiers Mays ont pour programme iconographique les Actes des Apôtres : des scènes évangéliques n’y figureront qu’une fois que l’essentiel des Actes aura été illustré, au début des années 1670. Le May commandé à Blanchard est chronologiquement le cinquième de la série, mais il est primordial par son sujet : c’est la Pentecôte qui permet aux disciples de devenir réellement « apôtres », c’est-à-dire « envoyés » en mission. L’œuvre était d’ailleurs exposée, avant l’incendie, à gauche, dans la première chapelle du bas-côté gauche, autrement dit, au début du parcours.
Blanchard a habilement représenté à la fois un petit groupe d’hommes et de femmes, dans une pièce d’architecture toute classique, aux chapiteaux ioniques, et une foule beaucoup plus indistincte qui semble se presser dans l’espace contigu, attirée par l’événement. Il n’introduit donc pas de solution de continuité entre l’intérieur de ce que saint Luc désigne comme la chambre haute (Ac 1, 13) où les Apôtres et des femmes sont assidus à la prière (v. 14), et la foule (2, 6) attirée par le fracas de l’Esprit Saint, comme un violent coup de vent (2, 2) qui ameute les curieux par centaines. Le peintre exprime ainsi du même coup la venue du Paraclet promis par le Christ et ses conséquences : les Apôtres se mettent à parler en d’autres langues, puis Pierre proclame le kérygme et trois mille personnes sont baptisées. « En réalité, la théophanie de la Pentecôte marque le point ultime de l’autorévélation par laquelle Dieu se communique à son peuple et fait corps avec lui ; elle ne se déroule plus sur une haute montagne, mais en pleine ville. Elle ne concerne plus un peuple tenu à distance pendant que son chef traite seul avec Dieu, mais une petite communauté unie et très fervente. Son feu ne brûle plus à l’extérieur, dans le lointain, mais pénètre à l’intérieur en vives flammes d’amour et de vérité », écrit Jean-Marc Bot.
L’Esprit Saint, don de Dieu
Blanchard a su rendre compte de la joie du don à la fois collectif et individuel de l’Esprit. Sa composition est originale : les représentations de la Pentecôte, comme celle du Titien à l’église della Salute à Venise (1545) ou celle de Charles Le Brun au Louvre (1656-1657) sont volontiers centrées sur la Vierge, au milieu du groupe des disciples, et sur le foyer lumineux de l’Esprit Saint. Ici, c’est Pierre, chef de l’Église, de dos dans son drapé jaune foncé, qui concentre l’attention, avec Marie en blanc, à droite. Les bras de Pierre dessinent avec les mains jointes de Marie et le dos de l’homme en rouge, dans le coin droit, le début d’une ligne imaginaire qui mène vers l’angle supérieur gauche de la toile, où convergent aussi les regards de tous les protagonistes. Fidèle au texte, Blanchard n’y a pas représenté d’oiseau mais les linéaments d’un nuage rosé, image du grand souffle d’où descendent de délicates langues qu’on aurait dites de feu (Ac 2, 3), certaines déjà posées au-dessus d’un assistant, d’autres en plein vol.
L’œuvre constitue pour ainsi dire un répertoire des différentes manières de représenter l’étonnement et l’admiration à travers les gestes et expressions faciales : chacun a la sienne, jusqu’à la femme du premier plan qui retient sa chute d’une main, tandis qu’à sa gauche un Apôtre tombe à genoux devant l’Esprit Saint et sous son action. Blanchard est bien ici ce « fondateur de l’atticisme » dont parlait Jacques Thuillier : en effet l’ensemble est dramatisé mais demeure très lisible et empreint de sérénité, sans agitation pathétique, grâce notamment aux scansions verticales des colonnes et à la forte silhouette verticale de Pierre au centre, mais aussi aux tonalités passées des couleurs du décor, et au refus de contrastes lumineux trop brusques. Une manière de signifier par l’image que l’Esprit, promesse du Père, vient enflammer l’Église, chacun de nous, avec force et douceur.
Delphine Mouquin
Agrégée et docteur en lettres modernes
La Descente du Saint-Esprit (1634), Jacques Blanchard (1600-1638), cathédrale Notre-Dame de Paris. © RMN-GP / Mathieu Rabeau.
La Descente du Saint-Esprit de Jacques Blanchard, réalisée il y a tout juste 390 ans, est exposée dans la première chapelle latérale nord de Notre-Dame de Paris. L’œuvre sera visible lors de la réouverture de la cathédrale prévue en décembre 2024.
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