Simon Vouet (1590-1649) est considéré comme le plus important peintre français de la première moitié du XVIIe siècle. Avant de revenir en France en 1627, il demeure longtemps en Italie où il acquiert prestige et renommée à l’égal des plus grands. S’étant établi à Rome, il y épouse en 1626 la célèbre peintre Virginia da Vezzo, aussi remarquable – disait-on – par son esprit et son talent que par sa beauté. Une beauté qu’il nous est possible d’apprécier car Simon prit comme modèle sa jeune épouse quand, l’année même de son mariage, il entreprit de peindre la sainte Cécile qui orne la couverture de ce Magnificat.
Son âme s’élance hors d’elle
De sainte Cécile, les sources anciennes nous apprennent qu’au temps de l’empereur Marc Aurèle, elle appartenait à une noble famille romaine, les Cecilii. Chrétienne, elle est fiancée à un jeune homme nommé Valérien, qu’elle convertit au christianisme. Après leurs noces, ayant refusé de sacrifier aux divinités païennes, ils souffrent ensemble le martyre vers l’an 220. Cependant, diverses traditions ajoutent que pendant ses noces – ou selon d’autres pendant son martyre – elle tombe en extase, ravie par la musique des cieux. Ce privilège lui vaut d’être choisie comme patronne des musiciens, qu’ils soient compositeurs, interprètes ou facteurs d’instruments. Finalement, au XIIIe siècle, dans sa Légende dorée, le bienheureux Jacques de Voragine réunit, enrichit et développe toutes les traditions la concernant en une belle histoire dont les artistes n’ont pas manqué de s’inspirer.
Voici donc Cécile saisie en extase telle que la représente Simon Vouet. Le regard tourné vers le ciel, elle est figée dans une attitude toute contemplative. Elle ne joue plus de l’orgue (1). Ses lèvres sont closes, elle ne chante plus. Pas un mot, pas un geste, elle n’est presque plus sur la terre ; son âme s’élance hors d’elle tandis qu’il lui est donné d’avoir part aux harmonies divines de la musique céleste. Des doigts de Cécile qui se détachent du clavier, en bas à droite, l’artiste fait partir une diagonale qui structure son œuvre et signifie le passage du terrestre au céleste. Passant par les yeux de la sainte, puis en haut à gauche par les angelots, cette diagonale suit le regard de Cécile qui atteint au plus haut des cieux, à cet au-delà où une musique ineffable célèbre éternellement la beauté suprême de Celui qui est au-delà de tout. Et voici qu’à Cécile est donnée la grâce divine d’unir le chant de son cœur au chœur des anges et des élus glorifiés.
La transfiguration de la musique
En montrant une hiérarchie entre trois différents niveaux de musiques, l’œuvre de Simon Vouet est pensée comme une catéchèse liturgique. Au plus bas, représentée ici par l’orgue, la musique instrumentale où le son provient d’instruments matériels. Puis, à un degré supérieur, la musique vocale, ou mieux chorale – plusieurs voix chantant ensemble à l’unisson –, où le son provient de personnes humaines créées à l’image de Dieu et, qui plus est, sont fils et filles de Dieu, cohéritiers du royaume des Cieux avec leur frère Jésus Christ, le Fils de Dieu. Et enfin, au plan supérieur – ici suggéré par les angelots mais situé au-delà de la représentation – la musique céleste qui procède de la contemplation éternelle de la beauté de Dieu et de la communion parfaite à son être. Ce tableau nous enseigne qu’il peut y avoir, qu’il devrait y avoir continuité harmonieuse entre la musique chorale – chantée en chœur d’un seul cœur – et l’ineffable musique céleste qu’elle a vocation à préfigurer. Ce qu’elle fait effectivement quand le chant choral est une prière qui offre toute la vie humaine en communion avec l’eucharistie du Christ Jésus et la transforme en une louange au Père.
Aussi bien, quand notre Magnificat nous offre de nous unir chaque jour à la grande prière de l’Église, quand chaque matin et chaque soir nous entonnons ses hymnes unis d’un seul cœur avec tous les baptisés, n’est-il pas vrai qu’il est donné à notre voix d’entrer dans le chœur de la communion des saints et d’y communier à un avant-goût de la musique céleste ?
Pierre-Marie Varennes
1. La représentation de sainte Cécile avec un orgue serait due à une erreur de copiste, alors que dans la liturgie de la fête de sainte Cécile était écrit : « Le jour de ses noces, Cécile chantait à Dieu dans son cœur », un copiste, finalement recopié par tous les autres, aurait remplacé les mots latins in corde suo par ad vocem organorum « […] au son des orgues ».
Sainte Cécile (v. 1626), Simon Vouet (1590-1649), Austin (USA), The University of Texas, Blanton Museum of Art. © akg-images / Album.
La musique in excelsis
La musique in excelsis
Le 1 novembre 2024
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Simon Vouet (1590-1649) est considéré comme le plus important peintre français de la première moitié du XVIIe siècle. Avant de revenir en France en 1627, il demeure longtemps en Italie où il acquiert prestige et renommée à l’égal des plus grands. S’étant établi à Rome, il y épouse en 1626 la célèbre peintre Virginia da Vezzo, aussi remarquable – disait-on – par son esprit et son talent que par sa beauté. Une beauté qu’il nous est possible d’apprécier car Simon prit comme modèle sa jeune épouse quand, l’année même de son mariage, il entreprit de peindre la sainte Cécile qui orne la couverture de ce Magnificat.
Son âme s’élance hors d’elle
De sainte Cécile, les sources anciennes nous apprennent qu’au temps de l’empereur Marc Aurèle, elle appartenait à une noble famille romaine, les Cecilii. Chrétienne, elle est fiancée à un jeune homme nommé Valérien, qu’elle convertit au christianisme. Après leurs noces, ayant refusé de sacrifier aux divinités païennes, ils souffrent ensemble le martyre vers l’an 220. Cependant, diverses traditions ajoutent que pendant ses noces – ou selon d’autres pendant son martyre – elle tombe en extase, ravie par la musique des cieux. Ce privilège lui vaut d’être choisie comme patronne des musiciens, qu’ils soient compositeurs, interprètes ou facteurs d’instruments. Finalement, au XIIIe siècle, dans sa Légende dorée, le bienheureux Jacques de Voragine réunit, enrichit et développe toutes les traditions la concernant en une belle histoire dont les artistes n’ont pas manqué de s’inspirer.
Voici donc Cécile saisie en extase telle que la représente Simon Vouet. Le regard tourné vers le ciel, elle est figée dans une attitude toute contemplative. Elle ne joue plus de l’orgue (1). Ses lèvres sont closes, elle ne chante plus. Pas un mot, pas un geste, elle n’est presque plus sur la terre ; son âme s’élance hors d’elle tandis qu’il lui est donné d’avoir part aux harmonies divines de la musique céleste. Des doigts de Cécile qui se détachent du clavier, en bas à droite, l’artiste fait partir une diagonale qui structure son œuvre et signifie le passage du terrestre au céleste. Passant par les yeux de la sainte, puis en haut à gauche par les angelots, cette diagonale suit le regard de Cécile qui atteint au plus haut des cieux, à cet au-delà où une musique ineffable célèbre éternellement la beauté suprême de Celui qui est au-delà de tout. Et voici qu’à Cécile est donnée la grâce divine d’unir le chant de son cœur au chœur des anges et des élus glorifiés.
La transfiguration de la musique
En montrant une hiérarchie entre trois différents niveaux de musiques, l’œuvre de Simon Vouet est pensée comme une catéchèse liturgique. Au plus bas, représentée ici par l’orgue, la musique instrumentale où le son provient d’instruments matériels. Puis, à un degré supérieur, la musique vocale, ou mieux chorale – plusieurs voix chantant ensemble à l’unisson –, où le son provient de personnes humaines créées à l’image de Dieu et, qui plus est, sont fils et filles de Dieu, cohéritiers du royaume des Cieux avec leur frère Jésus Christ, le Fils de Dieu. Et enfin, au plan supérieur – ici suggéré par les angelots mais situé au-delà de la représentation – la musique céleste qui procède de la contemplation éternelle de la beauté de Dieu et de la communion parfaite à son être. Ce tableau nous enseigne qu’il peut y avoir, qu’il devrait y avoir continuité harmonieuse entre la musique chorale – chantée en chœur d’un seul cœur – et l’ineffable musique céleste qu’elle a vocation à préfigurer. Ce qu’elle fait effectivement quand le chant choral est une prière qui offre toute la vie humaine en communion avec l’eucharistie du Christ Jésus et la transforme en une louange au Père.
Aussi bien, quand notre Magnificat nous offre de nous unir chaque jour à la grande prière de l’Église, quand chaque matin et chaque soir nous entonnons ses hymnes unis d’un seul cœur avec tous les baptisés, n’est-il pas vrai qu’il est donné à notre voix d’entrer dans le chœur de la communion des saints et d’y communier à un avant-goût de la musique céleste ?
Pierre-Marie Varennes
1. La représentation de sainte Cécile avec un orgue serait due à une erreur de copiste, alors que dans la liturgie de la fête de sainte Cécile était écrit : « Le jour de ses noces, Cécile chantait à Dieu dans son cœur », un copiste, finalement recopié par tous les autres, aurait remplacé les mots latins in corde suo par ad vocem organorum « […] au son des orgues ».
Sainte Cécile (v. 1626), Simon Vouet (1590-1649), Austin (USA), The University of Texas, Blanton Museum of Art. © akg-images / Album.
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