Le Grain de blé (1854), Louis Janmot (1814-1892), Lyon, musée des Beaux-Arts.
Peintre et poète, Louis Janmot, issu d’une famille lyonnaise ancrée dans la foi catholique, fut profondément marqué par la perte de son frère, en 1823, et de sa sœur, en 1829. Est-ce pour cela qu’il orienta son art vers la peinture religieuse ? Lauréat de l’école des Beaux-Arts de Lyon en 1832, il fut élève d’Ingres à Paris, en 1833, où il s’engagea dans la société Saint-Vincent-de-Paul, fondée par Frédéric Ozanam, rencontré plus jeune au Collège royal de Lyon. Lors du traditionnel voyage à Rome en 1835, il rencontra son aîné Hippolyte Flandrin, autre peintre de l’école lyonnaise et lui aussi élève d’Ingres. Dès 1836, ses peintures religieuses de grand format attirèrent l’attention des critiques. L’intérêt que Baudelaire lui porta lui permit, en 1846, d’accéder au Salon de Paris, où son portrait de Lacordaire impressionna Théophile Gautier. Fort de ces premiers succès, Louis Janmot obtint la commande de fresques et de décoration de coupoles pour des églises de Lyon, où il fut nommé professeur à l’école des Beaux-Arts.
Entre néoclassiques et romantiques
Dans cette première partie du XIXe siècle, deux mouvements artistiques majeurs s’opposent : le néoclassicisme d’Ingres, cherchant l’ordre et la simplicité, valorise le dessin, tandis que le romantisme de Delacroix prône le primat de la couleur. Janmot se situe à la charnière de ces deux courants, adoptant une ligne et des compositions épurées, mais combinant avec ces dernières un art consommé de la couleur et un luminisme délicat. Dans sa peinture, le dessin et le fini hérités d’Ingres se marient avec un mysticisme très personnel, car il désirait que son œuvre ait une portée didactique. Son style rappelle celui de ses contemporains du mouvement nazaréen, dont l’objectif était de renouveler l’art religieux en visitant les anciens maîtres italiens et allemands, et celui des préraphaélites, dont la visée était d’ordre moral, laissant une place prépondérante aux femmes. C’est pourquoi il fut considéré comme un artiste de transition entre ces courants, admiré par Pierre Puvis de Chavannes, peintre lyonnais de la génération suivante, Odilon Redon, miraculeusement guéri de l’épilepsie à 6 ans, et Maurice Denis, futur fondateur des Ateliers d’art sacré.
Le Poème de l’âme
Son œuvre majeure est Le Poème de l’âme, odyssée mystique picturale et littéraire, formée de 18 tableaux et 16 dessins au fusain réalisés entre 1835 et 1880, soutenue par un long poème argumentant les tableaux, dont la première version fut publiée à Lyon en 1854. Ce vaste ensemble narre la vie d’une âme sur la Terre, incarnée dans un jeune personnage accompagné de son double féminin. Le Grain de blé en est le neuvième tableau, daté de 1854, peint à l’huile sur panneau de bois. Il suit le tableau Le Cauchemar, dans une composition plus apaisée où le jeune garçon, en rose, et la jeune fille, en blanc, sont enseignés par un prêtre sur le passage du grain de blé, issu de l’Évangile de saint Jean : « Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).
Un talent hors pair
Janmot place les protagonistes dans une clairière ombragée, dominant un vaste panorama agricole, où les champs cultivés, en écho au thème du grain de blé, s’épanouissent au soleil jusqu’aux collines bleutées de l’arrière-plan, dans l’azur transparent. Autour des trois personnages fleurissent les plantes sauvages de l’été, coquelicots, pissenlits, bourrache et plantain. C’est l’occasion de découvrir le talent hors pair de Louis Janmot pour l’observation de la nature, à la fois dans sa fraîcheur de coloris et dans son réalisme. Dans la torpeur du soir d’été, un rayon de lumière troue la canopée et frappe le front des deux jeunes gens, symbolisant l’action de l’Esprit Saint, nécessaire pour pénétrer la profondeur de la parole divine qui leur est exposée. Un chien, enroulé sur lui-même, incarne la fidélité du chrétien à la foi de son baptême. La pâle candeur et les pieds nus, les bras abandonnés des adolescents dans leurs tuniques intemporelles aux teintes claires tranchent avec l’austérité du vieux clerc grisonnant, vu de trois-quarts dans sa mise sombre. Un parfum d’innocence s’exhale de leurs visages qui s’offrent à nous. Noyés dans la verdure environnante, eux si petits semblent mesurer, adossés à l’or des grandes fougères, la puissance d’amour du Créateur. En perçoivent-ils aussi la dimension christique ? Car l’image du grain de blé ne renvoie-t-elle pas à l’eucharistie, où le grain de blé Jésus Fils de Dieu se cache dans un morceau de pain pour venir vivre en nous, afin de nous mener à lui ?
Mourir à soi-même, c’est-à-dire ?
Comment imiter le Christ ? Il s’agit de mourir à soi-même en se laissant façonner par la grâce, sous l’action de l’Esprit Saint. Louis Janmot s’en fait le héraut dans son œuvre Le Poème de l’âme, conservée au musée des Beaux-Arts de Lyon et exposée hors les murs jusqu’en ce mois de janvier 2024 à Paris au musée d’Orsay.
Mélina de Courcy
Professeur d’histoire de l’art au collège des Bernardins
Le grain de blé (Le poème de l’âme) (1854-1881), Louis Janmot (1814-1892), musée des Beaux-Arts, Lyon. © G. Dagli Orti / NPL – DeA Picture Library / Bridgeman Images.
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