Magnificat

Seigneur, sauve-nous !

Le 1 juin 2024

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James Ensor (1860-1949) rejoint ou même précède successivement tous les mouvements picturaux, de l’impressionnisme au surréalisme, en passant par le symbolisme, le fauvisme, le naturalisme et l’expressionnisme. Par provocation, il aime à se dire révolutionnaire, mais en fait, il est très attaché à sa vie bourgeoise et à la monarchie belge. De même, il fait volontiers profession d’anticléricalisme, mais son œuvre est habitée par le Christ. Et elle ne cesse de suggérer ce que le christianisme a à apporter à l’Europe qui court à sa perte : la présence d’une personne incomprise et rejetée, une personne qui incarne pourtant son seul espoir.

Dès 1885, il dessine L’Entrée du Christ à Jérusalem et Le Christ montré au peuple, où Jésus est représenté comme l’incarnation de l’innocence injustement condamnée, de la vérité persécutée, de l’amour profané par les attaques d’une masse hostile dont la haine est exacerbée par les notables religieux. En 1888, il publie quarante-cinq gravures à thème religieux et dévoile sa plus grande œuvre, provocatrice et vitupérante comme son auteur, L’Entrée du Christ à Bruxelles.

Au passage du siècle nouveau, Ensor s’aigrit. Il traverse une grave crise de révolte où son anarchisme atteint son paroxysme. Mais bientôt, à partir de 1910, il privilégie à nouveau les sujets chrétiens. En 1912-1913, il réalise une série de trente-deux dessins au crayon de couleur intitulée Scènes de la vie du Christ. Et quand, en 1923, Claude Bernières (une femme poète catholique) remporte le prestigieux prix Verhaeren, Ensor, devenu célèbre, se propose pour prononcer son éloge et illustrer son recueil de poèmes, Les Heures.

Seigneur, sauve l’humanité !

L’œuvre qui orne la couverture de votre Magnificat de ce mois, Le Christ apaisant la tempête, a été peinte en 1891. Elle s’inspire de l’épisode raconté par les évangélistes Matthieu (8, 23-27), Marc (4, 35-41) et Luc (8, 22-25). En 1887, Ensor est à Londres et y découvre les œuvres de Turner. Comme il l’explique lui-même, il en reprend ici la puissance faite d’éclats de couleurs et de lumières. Ce qu’il veut représenter, « ce ne sont pas des sujets, ce sont des lumières ». Alors sa mer de Galilée, démontée par la tempête, devient comme « le chaos primitif dominé par un souffle divin » où les éléments déchaînés respirent et crient. Dans ce chaos, la mer et le ciel mêlent leurs vagues sans que leurs limites puissent être distinguées. Et voici, submergé par les embruns, le frêle esquif où ont pris place Jésus et ses Apôtres. Pour Ensor, il représente l’humanité agressée de toute part par les forces en furie de la nature et de la société. Révolté par les réalités délétères de ce monde, Ensor au plus profond de lui-même espère que ce Jésus qui se dresse à la proue de la barque pour défier les puissances du mal et de la mort, que ce Jésus est vraiment, réellement, Dieu venu partager et assumer notre destinée humaine pour la sauver.

Seigneur, sauve ton Église !

Pour nous, chrétiens, cette barque représente plus particulièrement l’Église qui aura à affronter bien des tempêtes au long de son périple jusqu’à la fin des temps. Tempêtes du déchaînement des forces extérieures, mais aussi, hélas, plus dangereuses encore, tempêtes internes. Et même si, dans l’Évangile, un autre récit de tempête apaisée (Mt 14, 30) nous apprend qu’il peut arriver à Pierre lui-même de couler et de n’être sauvé, de justesse, qu’après avoir crié : « Seigneur, sauve-moi !», un de ses successeurs, lors de sa dernière apparition place Saint-Pierre, la veille de sa démission historique, nous le rappelait : « Dieu ne laisse pas couler la barque » de l’Église (Benoît XVI, 27 février 2013).

 

Pierre-Marie Varennes

Le Christ apaisant la tempête (1891), James Ensor (1860-1949), Ostende (Belgique), musée des Beaux-Arts. © Artothek / La Collection.

 

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