Juan Martín Cabezalero est né en 1645. N’eût été sa mort prématurée en 1673, à 28 ans, il serait devenu un grand de la peinture espagnole. Il avait en effet reçu les dons et les talents qui le promettaient à devenir le soleil qui finalement manqua pour illuminer le crépuscule du Siècle d’or. De son génie, l’exceptionnelle qualité de cette Assomption de la Vierge Marie, peinte en 1665, l’année de ses 20 ans, témoigne brillamment.
On ne sait ce qu’il faut le plus admirer en contemplant ce chef-d’œuvre : l’ouverture dynamique de l’espace vers le plus haut des cieux ? La fluidité exquise des touches de peinture ? Les expressions riches des personnages ? Au-dessus de tout, la manifestation la plus originale du génie précoce de Cabezalero réside dans son traitement de la lumière qui lui permet de faire vivre le mouvement des figures. Toute la composition apparaît ainsi comme douée d’un dynamisme perpétuel, comme animée au sens physique aussi bien que spirituel.
Et puis, quels mots pourraient dire la splendeur toute simple, transparente, de la Vierge Marie en sa glorieuse Assomption ? Par quelle grâce d’état le peintre parvient-il à nous donner ainsi à contempler la plus belle des filles d’Ève dans sa vérité ? Si elle nous apparaît aussi éminemment touchante, sans être jamais séduisante, c’est parce que le peintre a compris qu’elle est belle précisément en ce qu’elle est plus jeune que le péché.
Pour reconstituer cette scène de l’Assomption afin de servir à l’édification des fidèles, Cabezalero s’inspire principalement d’un texte de saint Jean Damascène, apologiste arabe mort en 749 au monastère de Bar Saba, près de Jérusalem. Ce texte reprend des traditions plus anciennes, dont certaines pourraient remonter au IIe siècle : Marie meurt entourée par les Apôtres miraculeusement venus à son chevet depuis les quatre vents de la Terre où ils étaient en mission. Elle est mise au tombeau. Trois jours plus tard, arrive Thomas, celui qui n’est jamais là quand il faut. Pour lui, on ouvre le sarcophage, mais celui-ci est vide. Les Apôtres comprennent que Marie a été élevée au Ciel. Cette source a probablement été complétée par un autre texte du viie siècle, le Panégyrique pour la fête de l’Assomption de la sainte Mère de Dieu, lequel précise : « Le corps sans tache de la très-sainte et son âme, aimée de Dieu et toute pure, furent élevés au ciel, escortés par les anges. » Rappelons que le dogme formulé par Pie XII en 1950 dit simplement : « Au terme de sa vie terrestre, l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, a été élevée corps et âme dans la gloire céleste » (Munificentissimus Deus, 44).
Thomas, jamais là quand il faut !
Voici donc le sarcophage ouvert. Devant lui, on reconnaît en manteau rouge, au premier plan, saint Thomas qui, incrédule encore, de même qu’il mit sa main dans le côté du Seigneur ressuscité, la plonge dans le tombeau pour vérifier qu’il est bien vide. À sa gauche, un jeune homme vient de prendre dans la main les roses, sans épines, qu’il a trouvées dans le sarcophage, en lieu et place de la dépouille mortelle de la Mère de Dieu. Il vit et il crut (Jn 20, 8) : Marie conçue sans péché, rose mystique sans épine, a été portée au Ciel pour y être couronnée Flos florum, Reine des fleurs du Paradis. Derrière saint Jean, saint Pierre, de tout son être tourné vers le ciel. Le peintre nous invite clairement à nous mettre à sa suite, pour, levant les yeux au ciel et élevant notre cœur, contempler avec lui la Fleur de vie, la nouvelle Ève, glorifiée dans le mystère de son Assomption.
Dans la dynamique ascensionnelle de ce grand mystère, n’en doutons pas, la Mère de Dieu est plus que jamais notre mère. En sa personne, représentée ici élevée in excelsis par les anges, c’est la somme totale des prières confiées à son intercession jusqu’à la fin des temps qui est portée au cœur de Dieu. Le fruit du mystère de l’Assomption, c’est donc que rien n’est plus raisonnable que de croire avec une confiance invincible en l’efficacité de l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie. En effet, même si, par impossible, Jésus pouvait avoir quelque chose à lui refuser, n’oublions pas que quand elle demande pour nous une grâce à son fils et notre frère, elle le fait toujours avec l’autorité d’une mère qui, comme à Cana, se sait d’avance exaucée.
Oui, cela, ne l’oublions jamais. Et surtout pas à l’heure de notre mort.
Pierre-Marie Varennes
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L’Assomption (v. 1665), Juan Martín Cabezalero (1634-1673), Madrid, musée du Prado. © akg-images / Album.
Sursum corda !
Sursum corda !
Le 1 août 2024
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Juan Martín Cabezalero est né en 1645. N’eût été sa mort prématurée en 1673, à 28 ans, il serait devenu un grand de la peinture espagnole. Il avait en effet reçu les dons et les talents qui le promettaient à devenir le soleil qui finalement manqua pour illuminer le crépuscule du Siècle d’or. De son génie, l’exceptionnelle qualité de cette Assomption de la Vierge Marie, peinte en 1665, l’année de ses 20 ans, témoigne brillamment.
On ne sait ce qu’il faut le plus admirer en contemplant ce chef-d’œuvre : l’ouverture dynamique de l’espace vers le plus haut des cieux ? La fluidité exquise des touches de peinture ? Les expressions riches des personnages ? Au-dessus de tout, la manifestation la plus originale du génie précoce de Cabezalero réside dans son traitement de la lumière qui lui permet de faire vivre le mouvement des figures. Toute la composition apparaît ainsi comme douée d’un dynamisme perpétuel, comme animée au sens physique aussi bien que spirituel.
Et puis, quels mots pourraient dire la splendeur toute simple, transparente, de la Vierge Marie en sa glorieuse Assomption ? Par quelle grâce d’état le peintre parvient-il à nous donner ainsi à contempler la plus belle des filles d’Ève dans sa vérité ? Si elle nous apparaît aussi éminemment touchante, sans être jamais séduisante, c’est parce que le peintre a compris qu’elle est belle précisément en ce qu’elle est plus jeune que le péché.
Pour reconstituer cette scène de l’Assomption afin de servir à l’édification des fidèles, Cabezalero s’inspire principalement d’un texte de saint Jean Damascène, apologiste arabe mort en 749 au monastère de Bar Saba, près de Jérusalem. Ce texte reprend des traditions plus anciennes, dont certaines pourraient remonter au IIe siècle : Marie meurt entourée par les Apôtres miraculeusement venus à son chevet depuis les quatre vents de la Terre où ils étaient en mission. Elle est mise au tombeau. Trois jours plus tard, arrive Thomas, celui qui n’est jamais là quand il faut. Pour lui, on ouvre le sarcophage, mais celui-ci est vide. Les Apôtres comprennent que Marie a été élevée au Ciel. Cette source a probablement été complétée par un autre texte du viie siècle, le Panégyrique pour la fête de l’Assomption de la sainte Mère de Dieu, lequel précise : « Le corps sans tache de la très-sainte et son âme, aimée de Dieu et toute pure, furent élevés au ciel, escortés par les anges. » Rappelons que le dogme formulé par Pie XII en 1950 dit simplement : « Au terme de sa vie terrestre, l’Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours Vierge, a été élevée corps et âme dans la gloire céleste » (Munificentissimus Deus, 44).
Thomas, jamais là quand il faut !
Voici donc le sarcophage ouvert. Devant lui, on reconnaît en manteau rouge, au premier plan, saint Thomas qui, incrédule encore, de même qu’il mit sa main dans le côté du Seigneur ressuscité, la plonge dans le tombeau pour vérifier qu’il est bien vide. À sa gauche, un jeune homme vient de prendre dans la main les roses, sans épines, qu’il a trouvées dans le sarcophage, en lieu et place de la dépouille mortelle de la Mère de Dieu. Il vit et il crut (Jn 20, 8) : Marie conçue sans péché, rose mystique sans épine, a été portée au Ciel pour y être couronnée Flos florum, Reine des fleurs du Paradis. Derrière saint Jean, saint Pierre, de tout son être tourné vers le ciel. Le peintre nous invite clairement à nous mettre à sa suite, pour, levant les yeux au ciel et élevant notre cœur, contempler avec lui la Fleur de vie, la nouvelle Ève, glorifiée dans le mystère de son Assomption.
Dans la dynamique ascensionnelle de ce grand mystère, n’en doutons pas, la Mère de Dieu est plus que jamais notre mère. En sa personne, représentée ici élevée in excelsis par les anges, c’est la somme totale des prières confiées à son intercession jusqu’à la fin des temps qui est portée au cœur de Dieu. Le fruit du mystère de l’Assomption, c’est donc que rien n’est plus raisonnable que de croire avec une confiance invincible en l’efficacité de l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie. En effet, même si, par impossible, Jésus pouvait avoir quelque chose à lui refuser, n’oublions pas que quand elle demande pour nous une grâce à son fils et notre frère, elle le fait toujours avec l’autorité d’une mère qui, comme à Cana, se sait d’avance exaucée.
Oui, cela, ne l’oublions jamais. Et surtout pas à l’heure de notre mort.
Pierre-Marie Varennes
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L’Assomption (v. 1665), Juan Martín Cabezalero (1634-1673), Madrid, musée du Prado. © akg-images / Album.
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