Assomption (vers 1629), Philippe de Champaigne (1602-1674),
Le couvent des carmélites
Philippe de Champaigne, dont nous fêtons cette année le 350e anniversaire de la mort, est déjà un peintre célèbre lorsque l’église parisienne du couvent des carmélites du faubourg Saint-Jacques lui commande un grand retable représentant l’Assomption. Né à Bruxelles, l’artiste s’est installé huit ans auparavant à Paris. Nommé premier peintre de la reine en 1628, c’est par l’intermédiaire de la souveraine qu’il œuvre au carmel de l’Incarnation, premier couvent parisien de carmélites déchaussées. Deux femmes jouent un rôle déterminant dans la fondation de cet établissement fidèle au modèle réformé par sainte Thérèse d’Avila : Catherine de Nevers et surtout Barbe Acarie, cousine de Pierre de Bérulle, qui entrera au Carmel sous le nom de Marie de l’Incarnation après la mort de son époux, en 1613. L’affaire prend une tournure politique : Pierre de Bérulle intervient auprès du pape Clément VIII pour que le général des Carmes accepte d’envoyer quelques religieuses d’Espagne. Mais il faut aussi convaincre Henri IV qui craint qu’après les guerres de religion la fondation d’un établissement catholique à Paris ne soit prise comme une provocation. En 1604, les premières religieuses – dont deux disciples de sainte Thérèse d’Avila qui assumeront la charge de prieure, Ana de Lobera Torres (Anne de Jésus) et Ana García Manzanas (Anne de Saint-Barthélemy) – s’installent rue Saint-Jacques, en face de ce qui deviendra plus tard le Val-de-Grâce. La fécondité de cette première fondation donne le vertige : en soixante-trois ans, soixante-deux carmels sont fondés en France. Le carmel de l’Incarnation devient rapidement un des hauts lieux de la vie monastique française, attirant de nombreuses vocations de jeunes femmes souvent issues de la noblesse, dont Louise de La Vallière, ancienne maîtresse de Louis XIV, qui prend l’habit sous le nom de Louise de la Miséricorde. De grands prélats viennent y prêcher, comme Jacques Bénigne Bossuet. Fermé à la Révolution, le carmel de l’Incarnation connaît le triste sort de la plupart des couvents ou édifices religieux. Il est rasé en 1797, et ses œuvres, lorsqu’elles ne sont pas détruites, sont dispersées. L’Assomption de Philippe de Champaigne, qui ornait la nef de l’église, échappe heureusement au vandalisme révolutionnaire, de même que les autres œuvres de l’artiste, le Songe de Joseph (Louvre), l’Adoration des bergers (Lyon), l’Adoration des mages (détruite en 1870), la Présentation au Temple (Dijon), la Résurrection de Lazare (Grenoble) et la Pentecôte (Saint-Flour).
La dévotion mariale sous le règne de Louis XIII
L’extraordinaire floraison monastique des Carmélites s’inscrit dans un contexte de profond renouveau spirituel, marqué par de grandes figures de sainteté, et par une dévotion mariale affirmée. Quelques années après l’exécution de l’Assomption par Philippe de Champaigne pour le couvent des carmélites de la rue Saint-Jacques, le 10 février 1638, le roi Louis XIII consacre le royaume à la Vierge. Ce « Vœu de Louis XIII » est en réalité l’ultime étape d’une suite de dévotions mariales de la part des souverains dans l’espoir de donner un héritier au royaume et pour remercier la Mère de Dieu d’avoir préservé la France d’invasions étrangères. Le texte, signé par le roi, place la France sous la protection de Notre Dame « en laquelle nous mettons particulièrement nostre Personne, nostre État, nostre couronne et tous nos sujets » et institue les processions du 15 août, pour la fête de l’Assomption. Le 5 septembre de la même année, Louis Dieudonné naissait. La dévotion mariale, déjà vive, connaît alors un essor considérable en France, et en particulier lors de la fête de l’Assomption. Depuis le viie siècle, en se fondant sur la tradition patristique, la liturgie célébrait l’ascension au ciel de la Vierge dès la fin de sa vie terrestre. Mais il faut attendre 1950 pour que, par la constitution apostolique Munificentissimus Deus, de Pie XII, la tradition soit érigée en dogme.
L’Assomption
Philippe de Champaigne traita ce sujet cher à la Contre-Réforme – qui souhaitait rappeler la place de Marie dans l’histoire du salut – à de très nombreuses reprises : au moins treize versions sont connues. Dans celle qu’il peint pour le couvent des carmélites, la composition verticale – qui rappelle celle que Pierre Paul Rubens avait réalisée, en 1616, pour l’église des carmes de Bruxelles – permet à l’artiste de développer le récit sur deux registres : le monde terrestre, avec les Apôtres entourant le tombeau vide, et le monde céleste, avec Marie emportée au ciel par les anges. À l’agitation des disciples répond la sérénité de la Vierge. Champaigne a varié les attitudes, chaque Apôtre ayant la sienne : surprise, crainte, étonnement, louange. L’ordonnancement des figures crée une diagonale : partant du côté inférieur gauche et s’achevant au côté supérieur droit, elle place Thomas au cœur de l’événement. Devant le tombeau vide, il tient dans ses mains les preuves de ce qui vient d’advenir : le linceul et des fleurs. Ces dernières sont le signe visible que ce qu’il ne croyait pas, lui qui selon les récits apocryphes était absent au moment où la Vierge fut élevée au ciel, s’est effectivement déroulé. En 1661, prêchant aux carmélites de la rue Saint-Jacques, Bossuet commentait ce mystère de l’Assomption : « Faites, ô Vierge sacrée, que tous ceux qui ont célébré votre Assomption glorieuse entrent profondément dans cette pensée, qu’il n’y a aucune grandeur qui ne soit appuyée sur l’humilité ; que c’est elle seule qui fait les triomphes et qui distribue les couronnes ; et qu’enfin il n’est rien de plus véritable que cette parole de l’Évangile, que “celui qui s’abaisse durant cette vie sera exalté à jamais dans la félicité éternelle” où nous conduisent le Père, le Fils et le Saint-Esprit. »
Sophie Mouquin
Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.
L’Assomption (v. 1629), Philippe de Champaigne (1602-1674), musée du Louvre, Paris. © RMN-GP /Hervé Lewandowski.
Pour aller plus loin
Nous fêtons cette année les 350 ans de la mort de Philippe de Champaigne. Voici une sélection d’ouvrages consacrés à l’artiste :
- L. MARIN, Philippe de Champaigne, ou La Présence cachée, Hazan, Paris, 1995.
- A. MABILLE DE PONCHEVILLE, Philippe de Champaigne, Paris, 1938.
- P. LE LEYZOUR & C. LESNÉ, Philippe de Champaigne et Port-Royal, catal. expos., Musée national des granges de Port-Royal, Magny-les-Hameaux, 1995
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