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Le Christ et la Cananéenne

Le 1 août 2023

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Le Christ et la Cananéenne (1784), Jean-Germain Drouais (1763-1788)

La mort, à 25 ans, de Jean-Germain Drouais, fils du portraitiste François-Hubert Drouais (1727-1775) « a privé la France de l’homme peut-être destiné à être cité avec Raphaël ». Maître exigeant, Jacques-Louis David (1748-1825) ne cachait pas son admiration pour celui qui remporta le Grand Prix de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1784, et l’accompagna à Rome quelques mois plus tard. Le jeune peintre participa alors à l’exécution du Serment des Horaces qui allait consacrer David comme le chef de file du néoclassicisme français. Le corpus de ce jeune prodige, emporté dans la fleur de l’âge, est composé de quelques toiles seulement. Tandis que certaines, comme son Marius prisonnier à Minturnes réalisé en 1786 (Paris, musée du Louvre), s’inscrivent dans la tradition davidienne, tant par le sujet que par le traitement qui exalte une antiquité revisitée sous le prisme de la morale et de l’exemplum virtutis, d’autres témoignent d’une manière plus subtilement personnelle. C’est le cas du Christ et la Cananéenne. Jacques Foucart précise que l’œuvre démontre que « Drouais a surtout regardé Poussin et Le Brun, et que le retour à l’antique passe pour lui par une méditation du classicisme français. C’est ce qui explique peut-être la souplesse des plissés, l’absence de raideur dans les attitudes, la subtilité dans l’expression des passions, mais aussi un air de noblesse et de réserve, autant de vertus qui témoignent que Drouais aurait pu être le Le Sueur du néo-classicisme ».

Un classicisme subtil

Sans se départir de la rigueur de David, Le Christ et la Cananéenne témoigne en effet d’une parfaite assimilation des grands exemples picturaux du xviie siècle. Exécutée avant que le jeune artiste ne découvre les merveilles, antiques comme renaissantes, de Rome, l’œuvre ne cache rien de sa dette au géant Nicolas Poussin, et dans une moindre mesure au grand Charles Le Brun. De l’un comme de l’autre, il connaissait sans doute les œuvres qui appartenaient alors aux collections royales. Son Christ et la Cananéenne rappelle indiscutablement plusieurs œuvres de Poussin dont Les Aveugles de Jéricho (1650, Paris, musée du Louvre) et Le Christ et la Femme adultère (1653, Paris, musée du Louvre), pour n’en citer que deux, avec lesquelles il partage une composition isocéphale, et ce subtil équilibre entre figures et nature. L’équilibre des masses, l’harmonie des rapports mathématiques, les jeux chromatiques, et cette manière particulière de sculpter les formes sans les figer sont, si ce n’est des effets de citation, du moins une évidente source d’inspiration. Drouais place la scène sur le parvis d’un bâtiment, dans une ville antique. À l’arrière-plan, des palmiers, une pyramide tronquée, un gigantesque temple servent de cadre spatio-temporel à l’événement. Au centre de la toile, le Christ ordonne la composition : il est le trait d’union visuel entre la femme, agenouillée au premier plan, qui l’implore en joignant les mains, et l’un de ses Apôtres qui s’avance avec ardeur vers lui, les deux bras écartés en signe de protestation. La scène se joue entre eux trois. Derrière eux, des groupes de personnages observent, à gauche avec circonspection, à droite avec inquiétude. La toile est débarrassée de tout effet décoratif qui viendrait nuire à la clarté et à la compréhension du récit. Cet art consommé de la mise en scène de l’histoire est bien hérité de Poussin, de même que le sont les figures à l’antique.

L’exemple de la foi indomptée

L’épisode se déroule dans la région de Tyr et de Sidon (Mt 15, 21). N’écoutant pas les disciples agacés par les cris d’une Cananéenne, le Christ dialogue avec elle. L’échange entre le Christ et la femme est étonnant. Alors qu’elle se tient devant lui, à genoux, lui demandant de venir à son secours, il lui répond : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie (v. 26-28). Les mains jointes de la Cananéenne, les gestes du Christ et de l’Apôtre qui se tient à ses côtés traduisent visuellement l’échange verbal entre eux. Et plus encore le moment du récit où le Christ répond à ses disciples, puisque c’est vers eux qu’il est tourné, faisant signe à la femme, avec sa main gauche, d’attendre : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël » (v. 24). L’épisode est pour le Christ l’occasion d’un enseignement à ses disciples : cette « humble femme est indiquée par Jésus comme exemple de foi indomptée. Son insistance à invoquer l’intervention du Christ est pour nous un encouragement à ne jamais nous décourager, à ne pas désespérer, même lors des épreuves les plus dures de la vie. Le Seigneur ne ferme jamais les yeux face aux nécessités de ses fils et, s’il semble parfois insensible à leurs prières, c’est uniquement pour mettre à l’épreuve et raffermir leur foi », analysait Benoît XVI. Au Christ qui ne répondait pas à ses cris, la Cananéenne s’est adressée, le priant avec insistance de guérir sa fille. Puissions-nous, à sa suite, être des croyants indomptés, et accueillir les épreuves, même les plus dures, comme des occasions de nous jeter aux pieds du Christ pour l’implorer de venir à notre secours.

Sophie Mouquin

Maître de conférences en histoire de l’art moderne à l’université de Lille.

Le Christ et la Cananéenne, Jean-Germain Drouais (1763-1788), Paris, musée du Louvre. © RMN-GP / René-Gabriel Ojéda.

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