© Alban de Châteauvieux
Fêtée le 18 novembre
Philippine Duchesne est née à Grenoble en 1769, dans une famille de la haute bourgeoisie parlementaire. Par sa mère, elle est la cousine germaine de Casimir Perier, le futur président du Conseil de Louis-Philippe. Dès l’enfance, têtue et obstinée, mais aussi délicieusement gaie et affectueuse, Philippine sait ce qu’elle veut. À l’âge de 12 ans, pensionnaire chez les visitandines de Sainte-Marie-d’en-Haut, elle décide qu’elle rejoindra l’ordre de la Visitation. Malgré l’objection de ses parents, elle y entre en 1788. Elle est comblée par cette vie de prière et d’enseignement, mais la Révolution abolit la vie religieuse et Philippine doit rentrer dans sa famille. En 1801, elle réussit à racheter son ancien couvent et à créer un petit pensionnat. Mais comment être à nouveau religieuse ? La Providence lui permet alors de rencontrer Madeleine-Sophie Barat (1779-1865), qui vient de fonder une œuvre d’éducation des enfants sous le vocable du Sacré-Cœur. En 1804, les deux futures saintes se rencontrent, l’entente est immédiate et pour la vie ! Philippine accepte de refaire un noviciat sous la conduite de la mère Barat, qui a dix ans de moins qu’elle.
Une vocation missionnaire
Seulement, Philippine a un rêve missionnaire : évangéliser l’Amérique ! Malgré ses demandes répétées, la mère Barat n’est pas prête à se séparer si vite de cette sœur précieuse. Et puis, le caractère « Duchesne » est encore trop dur : « Quand vous arrivera-t-il d’être une sainte ? » demande la mère Barat. L’heure du départ sonne enfin, en février 1818, Philippine a 49 ans ! Le voilier Rébecca met trois mois pour traverser l’Atlantique, puis les sœurs remontent le Mississipi pendant quarante jours pour parvenir à Saint-Louis.
Elle rêvait de la mission ? Le scorbut sur le bateau, la fièvre jaune, l’érysipèle, le manque de sommeil, une maison à courants d’air au bord du Missouri gelé… les cinq pionnières en voient de toutes les couleurs. La mère Duchesne fonde une école, dirige la maison, bêche le jardin, fait la classe, soigne les bêtes et, le soir, elle passe dans le dortoir des pensionnaires pour ramasser les vêtements déchirés et les raccommoder discrètement pendant la nuit.
Pourtant, travail intense, pauvreté incroyable et prière assidue ne font pas de Philippine une renfrognée : sa joie éclate tout au long du jour, à son contact les enfants apprennent à aimer Dieu et les novices adorent faire la récréation avec elle. Car les vocations se présentent et Philippine ouvre de nouvelles maisons. En 1830, soixante-quatre sœurs, six maisons d’éducation, environ trois cent cinquante enfants. En 1841, elle touche au but de sa vie : une mission chez les Indiens potawatomis.
Mais Philippine a 73 ans, ne sachant pas la langue, elle évangélise par la prière, les Indiens l’appellent « La-femme-qui-prie-toujours ». Ses forces la trahissent, elle doit quitter cette mission, mais elle n’oubliera jamais « ses » Indiens. Elle meurt le 18 novembre 1852. Béatifiée par Pie XII en 1940, elle est canonisée par saint Jean-Paul II en 1988. n
À l’écoute de Philippine Duchesne
Les vagues couvrent le pont à tout moment, deux fois elles ont forcé nos petites fenêtres et couvert nos lits pendant la nuit. Les mâts qui plient, les voiles qui se déchirent, le gouvernail qu’on abandonne pour ne pas trop fatiguer le vaisseau. Dans les longues nuits de tempête, où Dieu paraissait sourd à toutes nos prières, je me suis souvent demandé si je devais me repentir d’avoir trop poursuivi notre projet d’émigration mais, dans mon cœur, c’était la paix. Mon cœur a battu en apercevant les clochers de La Havane, dont les églises sont superbes. Mais Dieu abat tout orgueil dans ce voyage. J’attends ses dons et, après eux, le martyre qui y mettra le comble. Mon âme se dilate à cette pensée.
Lettre 93
(Le père Dominique-Marie Dauzet est religieux prémontré de l’abbaye de Mondaye (Calvados). Prêtre, théologien et historien des religions, il est notamment l’auteur de plusieurs vies de saints et d’ouvrages d’histoire de la spiritualité.